Boras Kotton et la fenêtre d’Alberti
Voir les photos de l’exposition : http://www.ackenbush.com/photos/boras_kotton/
par Anton Makassar
Principio, dove io debbo dipingere scrivo uno quadrangolo di retti angoli quanto grande io voglio, el quale reputo essere una finestra aperta per donde io miri quello che quivi sarà dipinto;…(Della pittura. L..B. Alberti 1436, traduction par l’auteur de l’édition originale en latin De Pictura 1435.)
Les deux œuvres de Boras Kotton présentées chez Ackenbush, rendent compte de la réflexion menée par le peintre depuis quinze ans à partir du célèbre texte de Leon Battista Alberti. Laissant de coté les multiples interprétations fantaisistes que cette petite phrase du premier traité de perspective a suscitées ( la fenêtre étant tour à tour et selon l’obédience du critique, ouverte sur le monde, sur la représentation narrative, ou le plus souvent sur l’histoire, avec ou sans majuscule) Boras Kotton regarde par la fenêtre.
Derrière la vitre
De mai 1992 à avril 1996 Boras Kotton effectue à un rythme hebdomadaire, au petit matin, le même trajet dans un train à grande vitesse. Au fil du chemin de fer, il inscrit sur son carnet des lignes d’horizons, des poèmes, des indications de teintes et de lumières…
De 1999 à 2002, il reconstitue ce voyage, toujours identique (dans son trajet) mais toujours différent (dans ses lumières) à travers deux polyptyques à l’huile sur bois.
Les textes, regroupés en 2006 avec les dessins originaux dans le cadre du premier volume de la collection « Derrière la vitre » (J.P. Huguet éditeur), forment avec la construction sonore d’Aliocha Renaudin et les polyptyques, une tentative de reconstitution d’un paysage en mouvement.
Depuis le siège du train, B.K. regarde à travers le rectangle de la vitre ce qu’il ne sait pas encore qu’il va peindre, mais, comme depuis Alberti sont passés notamment la révolution industrielle, Einstein et le Cubisme, B.K. ne peindra pas ce qu’il voit de la fenêtre du train arrêté en gare, mais un paysage de deux cents kilomètres, sans cesse mouvant, observé pendant plusieurs cycles annuels.
Chaque tableau, chaque élément des polyptiques, est une bribe de ce paysage, à un instant du trajet, à un moment de l’année, inscrit à vive allure dans une couche de la mémoire.
Ce qui est donné à voir à travers les fenêtres des polyptyques c’est un souvenir, étalé dans l’espace et dans le temps.
Oratoires
A partir d’un texte de mai 2001, décrivant une architecture imaginaire de murs définissant des vues, Kotton peint en 2005 et 2006 une série d’encres et six huiles sur bois (dont les quatre exposées ici).
Le texte fait l’objet d’une estampe tirée à l’imprimerie du Pré-battoir.
La fenêtre ne cadre plus grand chose. Une fenêtre ouverte sur rien, dont il manque toujours au moins un bord, parfois réduite à une fente.
S’il y a quelque chose à voir c’est à côté, ou derrière le mur. Du sujet n’arrive plus sur le tableau que son reflet, sa lumière ou celle qui l’éclaire, tout au plus la lueur d’un événement ou les traces d’une action passée, l’impression fugitive du passage de bosons, de quarks, de charmes ou d’âmes mortes.
Parfois subsiste encore un embryon de paysage, dans un angle, mais la lumière de l’angle opposé vient d’ailleurs, d’une autre fenêtre, hors champ, d’une autre facture, d’une autre époque ?
Le recours au polyptyque suggère plusieurs possibilités de combinaisons, un doute sur la cohérence de la lumière, une erreur dans la disposition, la juxtaposition arbitraire de différents points de vue, à des heures différentes,,,On s’éloigne de la pyramide d’Alberti.
Oratoires a aussi fait l’objet d’une installation dans le hall de la fondation de Taos el prado.
Intérieurs nuits
Dans la même démarche de reconstitution de souvenirs à travers plusieurs points de vues, il faut aussit citer une œuvre de 2003-2004, actuellement dans une collection privée, que nous espérons montrer dans un avenir proche.
A partir de lettres d’amour adressées à trois femmes, B.K. peint trois polyptyques, souvenirs de mouvements, de bribes de corps, cadrés par des miroirs, des portes, des fenêtres, des rêves.
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Toujours en référence à Alberti, cette installation présentée au musée de Naoshima mêle une vidéo tournée depuis la fenêtre du Shinkansen à la projection d’ éléments de « Derrière la vitre » déclenchés par le déplacement du regard du spectateur.
Boras Kotton d’origine danubienne a été élevé en français par sa grand-mère. Il vit et travaille depuis une quinzaine d’années entre la Grèce et la France. Il remplit compulsivement de petits carnets noirs dont il extrait a postériori la matière de ses poèmes, tableaux et installations vidéos.Il a exposé à Budapest, Helsinki et Tallin ainsi qu’à Naoshima et à Taos el Prado.
Anton Makassar est professeur d’histoire de l’art à l’université de Tallin, auteur de plusieurs ouvrages dont « Mensonge romantique à travers les installations sonores de Serge Crumpelt » a été traduit en français aux éditions J-P Huguet (épuisé).
Derrière la vitre au Kiasma d’Helsinki
Fare clic.. au Shishu Museum de Naoshima